Édition du seuil, 281 pages, aout 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour ce roman, j’ai fait ce que je m’étais promis de ne jamais faire : abandonner la lecture ! Si je le mets sur Luocine, c’est que j’espère que l’un ou l’une d’entre vous l’avez lu et que vous viendrez m’expliquer qu’il est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.

Cette écrivaine tenait un bon sujet de roman : une famille rom vivait en Roumanie dans un delta, fait de lac et de nature sauvage. Malheureusement pour eux , cet endroit est très proche de Bucarest et le gouvernement décide d’en faire une réserve naturelle et chasse cette famille.
Voilà le sujet, la belle nature sauvage, les pauvres roms, chassés de leur habitat pour plaire à des riches touristes
J’i trop senti dès le départ la démonstration , et puis pas de chance pour moi Corinne Royer est aussi une poétesse et s’exprime en vers qui m’ont laissée totalement indifférente.
Bref j’ai calé, ça m’arrive, je serai ravie de lire que je me suis trompée et que je suis passée à côté d’un roman qui a intéressé quelqu’un !

Extraits

Début

 De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire ; et la toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
 Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait.

L’instruction et leur père

 Les connaissances que tante Marta lui avait enseignées, la géographie, les mathématiques, le français, l’histoire et les ravages du communisme considérés comme une matière à part entière, il en avait à son tour instruit ses frères et sa sœur, malgré la désapprobation du père affirmant que les foutaise écrites dans les livres allaient leur raboter le cerveau de la même façon qu’une varlope sur une planche vermoulue. On pourra allumer le poêle avec les copeaux de votre cervelle ! disait-il. La menace avait longtemps effrayé Naya.

La réserve naturelle

 Elle avait ajouté qu’en tout temps et partout on avait créé des réserves naturelles au détriment des indigènes qui y vivaient. Marta avait donné pour exemple parc national de Kaziranga, en Inde, où les habitants avaient été expulsés ; ceux qui se déplaçaient encore dans le parc pour cultiver la terre ou chasser du petit gibier s’exposaient au tir à vue, et plus d’une centaine de paysans étaient tombés sous des balles des gardes.
 C’est comme ça, avait dit tante Marta on ferme les yeux aux pauvres pour donner à voir aux touristes !

L’expression poétique.

C’est l’hiver.
Nous partons.
Si loin.
ÇA ne peut-être que l’hiver.
Le tremblement sous mes pieds
court jusque dans mes doigts
et ma salive est comme une pâte
épaisse sur la langue.
Goût amer.
Sang dans la bouche, chaud
comme une lave.
(et ça continue sur 10 pages !)

 


Éditions de l’Olivier, 141 pages, août 2024

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Avec le temps, j’en ai déduit qu’à force d’habiter à la mer on finit par oublier qu’elle est au bout de la rue.

 

C’est tout l’intérêt du club de lecture, lire des nouveautés vers lesquelles je n’irai jamais de moi-même. Ce roman révèle un jeune écrivain qui a un talent certain pour entraîner ses lecteurs dans son monde. Son histoire se passe sur la côte normande, des plages de galets, une jetée qui s’avance dans la mer, un blockhaus à moitié effondré et difficile d’accès, un été ou Lou le narrateur traîne avec Max un jeune du coin.

Traîner cela veut dire boire suffisamment de bières pour être ivre au point de beaucoup pisser et de vomir, vivre (enfin boire surtout) la nuit et dormir le jour, Max fuit un père violent et plus saoul que lui, il faut dire qu’il a passé plus d’années à boire et fumer, leur fils aîné est parti sans redonner signe de vie et un jour Max prendra un risque de trop du haut de la jetée . Il faut donc vivre « après ça » , d’où le titre du roman.

Si ce n’est l’écriture, rien ne m’intéresse dans ce roman, l’effet de la bière sur le cerveau de ses deux jeunes me laisse indifférente, leur façon de fuir le quotidien me semble si pauvre. L’après est triste bien évidemment , on espère simplement que Nathalie la mère de Max arrivera à sauver le troisième frère de cette ambiance glauque à souhait.

Ce n’est pas le sujet, nous restons enfermés dans le cerveau de Lou, sans savoir s’il pourra un jour faire autre chose que glander avec un pack de bières à la main, même s’il déménage loin de cet été pourri.

Quelle tristesse !

 

Extraits

Début

 Avec Max on a survécu au cagnard de l’après-midi. Pendant qu’on luttait contre le Soleil bien dur on rigolait de voir les peaux sensibles faire moins les fières et se couvrir rapidement de crème solaire ou d’un t-shirt manche longue pour ne pas cloquer. Quand la température est tombée, on s’est dirigés vers la promenade qui longe la falaise, celle qui surplombe la mer de trente mètres. À la fin de la route goudronnée, il y a un chemin que seul les habitués connaissent, surtout depuis que la ville essaie d’en restreindre l’accès en posant des rubalises rouges et blancs dont les lambeaux flottent déjà quand on arrive, portés par les courants d’air chauds. En contrebas, la mère grignote la roche des falaises, force les terrains des maisons à reculer un peu plus chaque année.

Les apprentissages

 Max, il a pas son permis mais il a toujours su conduire. Ici ce sont les choses que les grands frères apprennent aux gamins, se raser, parler aux filles et surtout conduire comme des hommes. La nuit, les grands les emmènent sur le parking du Auchan un peu plus loin du centre à côté du Buffalo Grill. Ils coupent le moteur, échangent leurs places avec les plus jeunes et les moteurs redémarrent avec aux commandes des petites têtes blondes. Quand Max a tenu un volant pour la première fois, il a failli plier l’avant de la caisse sur un plot en goudron qui traînait au milieu du champ de lignes blanches éclairées par les lettres rouges du Auchan. Son frère, Yvan, a rigolé après avoir évité la catastrophe en faisant pression sur la jambe de Max elle-même posée sur le frein. La voiture avait pilé sec, sans ceinture les ongles plantés dans le volant. Depuis que je suis arrivé, Max, je l’ai jamais vu conduire ou entendu parler de le faire. Pas de permis, rien. Moi ça me va bien, quelque part on est sur un pied d’égalité.

Propos de pêcheur

 Je déambule entre les seaux qui se tiennent aux pieds des cannes à pêche quand j’entends un type dire que sa maison il l’a acheté pour sa grosse et ses gosses, c’est comme ça qu’il dit ma grosse et mes gosses. Il dit, ma grosse et mes gosses pour qui j’ai trimé comme un chien tout ça pour quoi ? Il interroge le regard dans l’eau, cherche la réponse dans les profondeurs, quelque part au bout de sa ligne. Il continue, tout ça pour quoi, tout ça pour que ça grosse et ses gosses se tirent du jour au lendemain comme des voleurs Ils se sont tirés sans jamais revenir et lui, ce jour-là il devait aller pêcher alors il y est allé et quand il est revenu, la maison pour laquelle il avait trimé comme un chien était vide.


Éditions de l’Olivier, 380 pages, aout 2002

Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Voilà un livre sans grand intérêt et qui est long, mais long , on n’en finit pas de s’ennuyer ! . Je dois avouer que, parfois, j’ai fait de la lecture en diagonale. Il est au programme de mon club de décembre dont le thème sera « l’Irlande ». Ce livre racontant la vie de trois amis habitant à Dublin, il y avait donc complètement sa place Je n’aime pas participer aux discussions de mon club sans avoir lu le livre, donc je me suis imposée ce pensum !

Deux amies Eileen et Alice ont fait leurs études ensemble avec Simon, Alice a écrit deux romans qui l’ont rendue très célèbre et elle ne supporte pas cette soudaine célébrité et fait une grave dépression, elle va mieux et loue une maison au bord d’une falaise et rencontre Felix un homme qui n’a pas fait d’études et elle noue avec lui une relation compliquée. Eileen travaille dans une petite revue littéraire et est très mal payée, enfin Simon qui a toujours été proche d’Eileen travaille au parlement. Les trois personnages principaux sont sans grand intérêt, Felix sans être très sympathique est plus intéressant.

Voilà le cadre, les relations entre ces personnes sont compliquées, elles sont attirées puis se repoussent et retournent ensemble … Les deux amies commentent toutes leurs relations dans de très longs mails, où elles se disent tout, elles décrivent par le menu les relations sexuelles et elles sont très actives  ! elles parlent aussi de leur doutes par rapport à leur vie , la politique, la religion et pour Alice la création littéraire et les conséquences du succès.

Ce roman se veut moderne et sans tabou il est surtout terriblement répétitif et ennuyeux. Je me demande bien à qui il peut plaire ? aux amateurs de scènes érotiques, peut-être car l’autrice a beaucoup d’imagination et de talents pour les décrire.

Extrait

Début

 Dans un bar d’hôtel une femme assise à une table surveillait la porte d’entrée. Elle avait une apparence soignée : chemisier blanc, cheveu blond coincée derrière les oreilles. Elle a jeté un coup d’œil sur son téléphone puis à de nouveau diriger son regard vers l’entrée. En cette fin mars le bar n’était guère fréquenté.

Problème de traduction ?

 Je pense qu’elle a deviné que c’était un date. Faut pas chercher plus loin.
PS depuis grâce à Sacha je sais que « date » est utilisée dans la jeune génération !

Un passage pour expliquer pourquoi ce roman n’est pas pour moi

 Tu as pleuré, à l’époque ?
 Pas au sens propre. Si c’est que tu veux savoir. Je n’ai pas pleuré pour de bon, mais ouais, j’étais furax.
 Ça t’arrive de pleurer ?
Il a eu un petit rire.
Non. Et toi ?
Oh, tout le temps.
Ah ouais ? Et tu pleuré pour quoi ?
 Pour n’importe quoi. J’imagine que je suis très malheureuse. Il l’a observée.
Vraiment ? Et pourquoi ça ?
 Aucune raison particulière. C’est ce que je ressens. Je trouve ma vie difficile
 Au bout d’un moment il a de nouveau regarder sa cigarette et il a dit : Je ne crois pas avoir bien compris la raison pour laquelle tu es venu habiter ici.
 Ce n’est pas une très belle histoire. J’ai fait une dépression nerveuse. J’ai passé quelques semaines à l’hôpital et, à ma sortie, je suis venu ici. Il n’y a rien de mystérieux là-dedans. Il n’y avait aucune raison de faire cette dépression, je l’ai faite c’est tout. Et ce n’est pas un secret tout le monde de sait.

Le plastique, genre de considération sur le monde « admirable »

 Ma théorie c’est que les humains ont perdu le sens de la beauté en 1976,l’année où le plastique est devenu le matériau le plus utilisé au monde. Tu peux voir ce processus s’opérer si tu regardes les photos d’une rue avant et après 1976. Je sais qu’il y a de bonnes raisons d’être sceptiques quant à la nostalgie esthétique, il n’en reste pas moins qu’avant 1970, les gens portaient des vêtements en laine et en coton conçu pour durer, qu’ils mettaient les liquide dans des bouteilles en verre, qu’ils enveloppaient la nourriture dans du papier et remplissaient leur maison avec des meubles en bois de qualité. Maintenant, la plupart des objets de notre environnement visuel sont en plastique, soit la substance la plus laide sur terre, ce matériau qui, quand on le colore ne se contente pas d’absorber la teinte mais exsude sa couleur de façon laide et inimitable.

 

 


Édition Calmann Levy, 156 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai lu en une soirée ce très court roman, largement inspiré de la vie de cet auteur. Je l’ai oublié deux jours après donc il faut vite que j’écrive ce que j’en ai pensé pour qu’au moins mon blog s’en souvienne ! C’est un premier roman, et très classique dans le genre : cet auteur a besoin de nous dire d’où il vient. Il le fait avec une grande honnêteté, ce qui n’est pas déplaisant.
Ses parents sont divorcés et ce divorce a entraîné pour un temps un déclassement social. Son père est musicien et complètement asocial mais c’est un père gentil avec son fils, sa mère est courageuse et reprend des études pour sortir sa famille de la misère. Son frère aîné compose du rap et va connaître un certain succès, le roman est scandé par des textes écrits par ce frère. La fêlure sur laquelle se joue le passage à l’écriture de ce jeune homme, c’est sa position de troisième dans la famille il a l’impression de ne pas exister : d’être « l’ombre des choses ».

La description de son passage dans une cité d’urgence qui abrite la misère ordinaire, son dégoût pour sa ville de province d’origine,( Angers son château et sa tapisserie de l’apocalypse) ses rapports avec son frère et ses copains tout cela ne m’a pas beaucoup intéressée , mais attendons son prochain roman, on découvrira peut-être un romancier plus riche que cette première impression.

 

Extraits

 

Début

 J’étais donc là.
 Un enfant moyen dans une ville moyenne. Avec, au cœur de la ville, un château fort. Un vieux truc du XIII°siècle moyenâgeux. Dix-sept tours, hautes d’une trentaine de mètres. Mais les touristes n’avaient d’yeux que pour la tenture de l’Apocalypse, un ensemble de tapisseries médiévales, uniques au monde. Ça donnait un peu de fierté à la vie moyenne.
Ici, vu de l’extérieur, tout était parfait.

Honte de son père

 « T’as vu ? il y a un clochard devant l’école », me disait Dorian d’un air méprisant. « Non, c’est mon père. » Deux mois plus tard pendant la récréation, j’avais fini par frapper Dorian d’un coup de poing dans le ventre. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine avec une intensité inhabituelle qui semblait vouloir le faire sortir de mon corps. Les battements s’accéléraient et mes mains tremblaient de nervosité. Je découvrais la chaleur de la violence. Dorian pleurait de douleur et j’avais envie de pleurer avec lui.

un Rap , je suis vraiment incapable d’apprécier un tel texte

C’est tout pour la famille, tout pour la déter’

 Petit, laisse les parler, ils parleront jamais
des gens qu’y à derrière
 Et vas-y, fait un deux, c’est morts pour les ingrats 
Protégés par Dieu, j’peux assurer les fins de mois 
 Quand j’pense à ma vie, c’est abusé
 J’suis peut-être miraculé comme Santa Maria
D’ Guadalupe

 


Éditions du Seuil, 151 pages, août 2024.

lu sur un mur de Chiraz

Vous pensiez me tuer, Vous nous avez ressuscitées

Je regarde assez peu la Grande Librairie, le plus souvent parce que j’oublie, mais ce soir là deux auteurs que je voulais lire étaient invités : Kamel Daoud pour Houri, et Delphine Minoui pour ce roman. Le soir de cette émission pendant laquelle cette autrice franco-iranienne racontait son admiration pour les jeunes iraniennes du mouvement « femme, vie, liberté » qui, au péril de leur vie, arrachent leur voile et le brûlent, une femme en arrière plan passait son temps à remettre le sien !

Badjen veut dire aujourd’hui la jeune fille qui ose rejeter « les bonnes mœurs musulmanes », mais le premier sens est presque « prostituée ». Cette jeune fille, Badjen (c’est le nom que lui a donné sa mère) est élevée dans une famille classique iranienne et elle ressent immédiatement que sa naissance a été un malheur pour son père pour qui la femme n’est que source de problème . Sa mère est celle qui lui permettra de se construire, car si celle-ci semble accepter la domination de son mari, en cachette de celui-ci, elle donne à la vie de sa fille la force de s’opposer. La différence entre les deux générations, c’est le courage de la jeunesse qui osera tout et le fera de façon ouverte.

Le roman est très facile à lire et explique très bien de quoi le voile est le symbole : il s’agit de ne pas attiser la convoitise des hommes et de garder la femme dans une attitude de soumission. Il y a une énergie dans ce récit qui le rend « presque » agréable à lire. Pour le côté sombre, car ces jeunes filles sont très souvent blessées ou même tuées par la police, le film « les graines du figuier sauvage » complète très bien cette lecture. Et dans ce film aussi c’est l’adolescente qui lutte le plus naturellement contre l’oppression patriarcale .

Une lecture nécessaire et si simple qui s’adresse à la jeunesse, celle de notre pays ou la liberté des filles existe encore et je l’espère pour toujours.

 

Extraits

Début poème .

T’entends leurs cris ?
Tu les entends t’applaudir alors que t’as encore rien fait ?
Froussarde ! Très même pas cap.
Même pas cap de grimper sur la benne.

Début du texte .

 J’ai 16 ans. 
Aucun cri ne sort de ma bouche.
Je me parle à moi-même depuis ce corps qui ne m’a jamais appartenu. 
J’ai 16 ans. Je pèse 47 kg et je mesure 1,59 m.
 Je les entends hurler « vas-y ma fille ! » et je repense au premier cri :
– Dieu c’est une fille !
Ce cri d’avant ma naissance.
Le cri fondateur. 
Originel.
Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de maman.

L’avortement et l’islam.

On dit que ce sont les détails qui tuent. Moi c’est mon grand-père qui a failli me tuer.
Pendant que la gynéco aidait ma mère à se relever, il avait pris tous les hommes de la famille en aparté pour planifier ma sentence prématurée. – Un avortement ! Il faut à tout prix envisager un avortement !
L’islam, religion d’état, interdit l’avortement. 
Sauf qu’en Iran tout se négocie même la religion.
 Mon grand-père affirmait connaître un médecin dont la cave servait de clinique clandestine, ni vu ni connu.
– Un homme de confiance, avait-il insisté.
 Il l’avait contacté en urgence par texto.
 Cinq minutes plus tard la réponse s’affichait sur son portable. Deux lignes expéditives confirmant la possibilité d’une intervention illicite moyennant un prix très juteux, nettement supérieur à la somme escomptée. (…)
 Mon grand-père lui avait raccroché au nez renonçant à contre cœur à mon assassinat trop coûteux.

Sa mère .

 Plus tard je l’ai souvent entendu dire en parlant à ses copines :
 » On ne veut pas finir comme la Syrie. »
 Ou encore :
 « La révolution nos parents l’ont déjà expérimentée, et on a vu ce que ça a donné ! »
Et elle s’est remise à faire ce qu’elle avait toujours fait : contourner les interdits plutôt que les envoyer balader. Une vie de concessions, de compromis de soirées clandestines, de défilés de mode underground, d’alcool frelatés, livré dans des sacs poubelles et de programmes satellitaires captés grâce à de petites paraboles camouflés sur le toit … Des arrangements tolérés au compte-gouttes par mon père, tant qu’ils étaient soigneusement tus pour ne pas entacher la réputation familiale.
 La seule audace que maman ait gardé de 2009, c’est ce foulard vert qu’elle porte de temps en temps, surtout les jours de cafard.
Elle répète que « le vert, c’est l’espoir ».
c’est tout ce qu’il lui reste.
Avec moi.

 

 

 

 


Édition Acte Sud, 139 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Le sermon sur la chute de Rome » voici ma deuxième rencontre avec cet auteur, dont j’aime tant le style et la façon de raconter.

Deux thèmes s’entremêlent dans ce roman, (encore) la Corse et ses violences si particulières : laver son honneur dans le sang , et le tourisme qui peu à peu ravage la planète. Comme dans le précédent roman Jérôme Ferrari ancre son récit dans le passé historique. Cette fois il raconte la prophétie de la ville sainte d’Harar à qui on avait promis le déclin si un chrétien en ressortait vivant. L’explorateur britannique Richard Francis Burton a réussi cet exploit et la prophétie se réalisera. À l’image de cette prophétie, Jérôme Ferrari décrit les invasions touristiques de tous les plus beaux lieux de la planète , son message : ne laissez aucun touriste revenir d’un lieu que vous voulez garder secret sinon il sera peu à peu envahi et dénaturé, jusqu’à l’actuelle arrivée dans des navires de croisières transportant des milliers de touristes qui se déversent sur les côtes ( regardez bien la couverture du livre !)

La Corse, donc Le narrateur y est professeur et il y compte aussi ses amis d’enfance , il connaît bien les Corses en particulier Philippe qui s’est enrichi grâce au tourisme sans beaucoup travailler. Son propre fils un bon à rien qui trouvera que son honneur est bafoué et pour une bouteille d e vin , il tentera de tuer un homme qui l’a déshonoré – on met son honneur où on peu t !

Tout le plaisir de ce roman vient de l’écriture à la fois précise et souvent drôle , la charge anti-touristes est un peu forte surtout à la fin, car cela monte en puissance, mais qui n’a pas vu ces énormes navires débarquer leurs flots de touristes en continue en submergeant les villes dans lesquelles on aime se promener ne peut sans doute pas lui pardonner son outrance.

J’ai cherché d’où venait le titre du roman, il est inspiré par l’île de North Sentinel dans le golfe du Bengale, dont la tribu autochtone a tué jusqu’à aujourd’hui tous ceux qui ont essayé de s’y rendre, y compris un missionnaire en 2018.

Est-ce qu’il aurait fallu le faire en Corse pour éviter le tourisme actuel ? Les corses avaient des dons pour la violence, mais ils aiment aussi l’argent sans trop se fatiguer ! (D’après ce roman … pas selon mon expérience, je me méfie de la vengeance possible des autochtones ! )

Extraits

Début

 On raconte encore que, dans l’après-midi du 3 janvier 1855, malgré la vénérable prophétie annonçant la ruine de la ville sainte peu de temps après qu’un infidèle l’aurait impunément souillée de sa présence le sultan Ahmad ibn Abu Bakr consentit à ce que le capitaine Richard Francis Burton franchit les portes inviolées de la cité de Harar. Il lui accorda une hospitalité soupçonneuse de dix jours avant de le laisser repartir saint et sauf, privilège dont aucun Européen n’avait joui jusqu’alors. S’il avait pu savoir que Harard tomberait en 1875, alors que lui-même était mort de consommation dix-neuf ans plus tôt dans l’amertume et le regret Ahmad ibn Abu Bakr n’aurait sans doute pas commis l’erreur fatale d’épargner le capitaine Burton et il aurait eu raison.

Prétention et humour

 Le fait désolant que leur premier-né mâle reçoivent systématiquement des prénoms de rois, d’empereurs ou de héros antiques est sans doute un symptôme particulièrement transparent de leur mégalomanie comme de leur absence totale de sens du ridicule : les Romani portant haut, et qui plus est fièrement, l’étendard de l’inculture, ils ignoraient évidemment tout de l’origine exacte des personnages historiques ou légendaires qui rendirent ces noms illustres et ils ne leur parurent jamais étrange comme l’atteste leur grotesque généalogie, qu’un Hector put engendrer un Achille, ou qu’un Hamilcar fût le grand-père de Scipion – ce qui me permet d’affirmer, sans crainte d’un démenti, que l’heureuse séquence Philippe-Alexandre ne peut être que le fruit du hasard ou le résultat d’une intervention de Catalina.

La Corse et le tourisme

 Contre toute attente, alors que les personnes sensées avec toujours fui en été le bord de mer caniculaires et malsain, une folie collective poussait désormais à s’amasser sur les plages des foules de plus en plus compactes d’abrutis extatiques qui venaient ici cultiver leurs futurs mélanomes en s’enduisant de monoï et de graisse à traire sous le soleil brûlant, se faire piquer par les moustiques et les guêpes insatiables, partageaient leurs miasmes et leurs mycoses dans la tiède infusion de la Méditerranée et qui, de surcroît, était prêt à payer pour le faire. Les Romani possédaient évidemment une bonne partie du littoral, et ces étendues stériles de roches et de sable dont personne n’aurait voulu quelques années plus tôt valaient maintenant une fortune.

En1933 , une journaliste vient interroger Pierre-Marie Romani : naissance d’une légende.

 Désormais, il lui fallait seulement, avec l’aide active d’une population qui le vénérait, éviter les gendarmes rêvant de le conduire à la guillotine et supporter les misères d’une vie de réprouve, la solitude des nuits dans la campagne, avec pour seule satisfaction la certitude de n’avoir pas failli. C’est derniers points étaient très exagérés : pour l’heure, les gendarmes ne se souciaient guère de lui et, la plupart du temps, il dormait chez ses parents dans la chambre de son enfance. Le reste était entièrement faux. Mais Pierre-Marie savourant la joie d’être devenu, par la seule force de son récit mensonger, celui qu’il aurait tant voulu être. 

Changement des comportements touristiques.

 

À la fin des années 1990, après s’être exclusivement consacrés au bronzage sur les plages, ils commencèrent à penser – ou plus probablement quelqu’un pensa pour eux- qu’il serait bon de diversifier leurs activités, de se rapprocher de la nature et de s’intéresser aux cultures indigènes et ils décidèrent de partir en quête de l’authenticité que nous étions bien sûr tout disposés à leur vendre.
 Ils se mirent donc à arpenter en masse les chemins de randonnée, troquant avantageusement leur coup de soleil, piqûres d’oursin et hydrocution pour des ampoules, des morsures de punaises de lit, des entorses et des chutes mortelles au fond de ravins oubliés.
 Ils exigèrent de manger local. D’écouter de la musique locale. Ils tenaient absolument à ce que leurs vacances aient du sens.
Nos avant et arrière saison jusqu’ici épargnées, virent débarquer des troupes de retraités lubriques, de sportifs de l’extrême et de jeunes actifs que ne contraignait pas encore le calendrier scolaire.

 

 

L’explication d’un crime pour la policière en charge du crime.

Dans sa longue et épuisante fréquentation du crime, Sévrine Boghossian n’a jamais cessé d’être sidérée face à la disproportion presque systématique entre les actes dont elle était le témoin et les raisons qui les avaient fait advenir, comme si la chute virevoltante d’une feuille d’automne creusait dans le sol un cratère, une disproportion si incommensurable que Séverine Boghossian a toujours eu le sentiment, en découvrant un mobile, non d’avoir obtenu une explication propre à satisfaire aux exigences de la raison mais, bien au contraire d’être à nouveau plongée tout entière au cœur d’une énigme qui revenait la submerger et la faisait suffoquer et qu’elle ne résoudrait jamais


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.


Édition le livre de poche, 279 pages, mai 2024

Traduit de l’allemand par Dominique Autrand

 

Ce roman ira très bien dans le mois de littérature allemande

C’est à travers une rencontre agréable dans une librairie de Dinan que j’ai acheté ce roman. Le très jeune libraire qui venait de le finir m’a dit avoir été séduit par le cheminement de deux femmes qui arrivaient à se réparer mutuellement. C’est le cœur du roman, une jeune fille anorexique de 17 ans qui s’auto-mutile et qui fugue de tous les centres dans lesquels on la place pour « l’aider », rencontre une femme de 50 ans paysanne qui lui offre l’hospitalité. Cette femme ne cherche pas à la retenir, mais peu à peu elles vont s’apprivoiser et se faire confiance. On découvre au fil de la narration le lourd passé de Lizz, la paysanne que tout le village rejette. Dès le début, on sait qu’elle aussi était malheureuse dans sa famille, avec un père tellement strict qu’il enlevait toute joie de vivre aux gens qui vivaient à ses côtés. Elle fuira cette vie avec un garçon qui s’avère violent et peu intéressant. Ensemble ils auront un enfant. Je m’arrête là pour vous laisser découvrir le fil de la narration.

Sally, la jeune révoltée, fuit un milieu familial trop conformiste mais qui voudrait lui redonner le goût de la vie.

Lizz sans vouloir vraiment le faire s’y prend mieux que tous les thérapeutes , car elle n’oblige pas la jeune fille à vivre chez elle, elle peut partir quand elle veut, mais c’est à travers le travail de la ferme que Sally va retrouver le goût de vivre. Et voilà l’autre intérêt du roman, la description minutieuse du travail dans une ferme rhénane : la cueillette des fruits, leur transformation en alcool, le travail de la terre, les vendanges. L’auteur sait rendre les atmosphères humides et fraîches des petits matins dans les vignes. il sait décrire aussi le changement du regard de Sally sur la campagne environnante, et enfin visiblement, il connaît bien les tourments de l’adolescence.

J’ai une réserve sur la crédibilité des personnages, il est rare selon moi qu’une anorexie aussi sévère ne vienne que du côté routinier des parents. Le le secret de Lizz est bien lourd à porter et l’ouverture finale, le rapprochement possible de Lizz et de son fils me semble vraiment difficile à réaliser. Je demande sans doute trop à la création romanesque, alors que, Ewald Arenz, décrit si bien les tourments de l’adolescence et mieux encore une région agricole viticole allemande qu’il connaît visiblement très bien. Si je retourne à Dinan, je féliciterai le jeune libraire pour son conseil. Je sais qu‘Eva avait recommandé cette lecture.

 

Extraits

Début.

 Au sommet de la route étroite qui montait entre chants et vignobles, l’air chaud vibrait sur l’asphalte. Liss, qui grimpait lentement la côte sur son vieux tracteur sans cabine, croyait voir de l’eau, une eau plus fluide que la normale ; plus légère et plus endoyante Une eau qu’on ne buvait qu’avec les yeux.
 Sur les champs moissonné où luisaient les chaumes, le blé était encore présent dans la puissante odeur de paille ; poussiéreuse, jaune, saturée. Le maïs commençait à sécher ; son bruissement dans la brise d’été n’évoquait plus le vert, il se transformait en un chuchotement rauque à la lisière du champ.

Le ressenti de Sally en centre psy.

 On était vendredi, et personne n’avait encore retrouvé Sally, personne ne lui avait parlé longuement, gentiment, sans lui faire de reproches, rempli de compassion mais aussi d’une haine cachée derrière chaque mot gentil. De la haine contre elle, qui ne voulait pas se soumettre, qui fuguait sans arrêt, qui n’écoutait pas leurs voix douces, compatissantes, compréhensives, mais les regardait toujours dans les yeux, longtemps, jusqu’à ce que le faux mur de gentillesse professionnelle, de chaleur et de compréhension s’effrite, laissant transparaître l’ennui, et l’indifférence et la haine.

Toujours Sally, si mal dans sa peau dans sa peau.

La maison. L’école. Les cliniques. On y entrait, et voilà que les ficelles, les chaînes, les cordes et les filets se mettaient à pousser des murs et du plafond, il devenait de plus en plus difficile d’aller et venir à l’intérieur, ils devenaient de plus en plus impossibles de sortir- de la maison, de l’école, des maisons des amies et de partout. C’étaient des chaînes souples, des cordes élastiques et des filets en caoutchouc, mais plus on voulait partir, plus ils vous retenaient, vous tiraient doucement en arrière ; la nuit, ils devenaient collants et lourds et si on ne fermait pas la bouche, si on ne respirait pas par le nez ils pénétraient en vous. Ou bien, ils se collaient à la nourriture et on les avalait par mégarde comme un cheveu, un cheveu qui n’en finissait pas, de plus en plus épais il se liquéfie à l’intérieur jusqu’à vomir. Parfois il vaut mieux ne pas manger.

 

Édition Héloïse d’Ormesson, 358 pages, octobre 2023

 

je propose ce livre dans les feuilles allemandes, même si l’auteure est australienne le sujet est bien l’Allemagne : la RDA

 

Dès que vous, mes tentatrices, mettrez un commentaire je mettrai un lien vers votre billet. Quel livre et quelle horreur ! ! Oui il faut lire ce livre même si, parfois, il faut prendre son courage à deux mains. On peut se consoler en se disant que cet horrible régime a été soutenu par plus de 75 % de la population. Mais avant de lire mon billet écoutez la voie de Charlie Weber qui lui est mort dans les geôles de la Stasi en 1980 :

Dans ce pays

Je me suis écœure de silence

Dans ce pays 

Je me suis égaré, perdu

Dans ce pays

Je me suis tapi pour voir

Le sort qui m’attendait

Dans ce pays

Je me suis retenu

De ne pas hurler

  • – Mais j’ai fini par hurler, si fort

Que ce pays m’a répondu

En gueulant avec la même laideur

Que les maison qu’il bâtit 

Dans ce pays

Seule ma tête dépasse

De terre, comme un défi

Mais elle se fera tondre un jour.

C’est alors, et enfin, que je ferai partie 

De ce pays.

 

Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Anna Funder à enquêter sur la Stasi, mais son travail est remarquable et m’a sortie de ma torpeur sur ce sujet. Oui, je savais que la RDA était un état policier, et que la Stasi espionnait tout le monde, mais je n’avais aucune idée et sans doute ne voulais-je pas le savoir à quel point cela impactait la vie des habitants. Ma plus grande surprise a été de découvrir le nombre de gens qui ont travaillé pour la Stasi . Les raisons pour lesquelles autant de gens travaillaient pour ce service de police et d’espionnage sont à la fois incroyables et faciles à comprendre. Une partie des recrues de la Stasi travaillaient par conviction communiste  : rien ne leur semblait pire que le capitalisme de RFA, d’autres étaient tenues par la peur : la Stasi savait très bien exercer des chantages qui marchaient le plus souvent, et enfin d’autres se sentaient importants en connaissant de petits secrets que d’autres ne savaient pas !

L’auteure a d’abord découvert l’histoire de Myriam Weber la femme de Charlie, à 16 ans elle a essayé de fuir à l’ouest , et elle a été attrapée puis torturée. La torture la plus répandue était de priver de sommeil la personne pendant parfois plusieurs jours, il semble que personne ne résiste à cette torture. Elle est ensuite envoyée en prison pour dix huit mois. Elle a été totalement détruite moralement et c’est son mari Charlie Weber qui l’a aidée à se reconstruire. Mais lui aussi sera arrêté et il mourra en prison. C’est à partir de là qu’Anna Funder a voulu découvrir comment fonctionnait la Stasi et elle a eu l’idée de passer une petite annonce pour rencontrer des anciens de la Stasi. Et, elle en a rencontré qui n’ont pas hésité à lui expliquer comment ils recrutaient, comment ils espionnaient, comment ils tenaient les gens en leur pouvoir. Certains regrettent cette période où leur pays marchait droit et où la délinquance n’existait pas. Tous ont tourné la page et sont passé à autre chose, aucun n’exprime de regrets.
C’est une lecture éprouvante mais nécessaire, les rares personnes qui sont restée dignes dans ce pays l’ont payé très cher , mais comme le chanteur de rock dont le groupe a été dissous préfère ne pas avoir pu chanter pendant 17 ans plutôt que de s’être renié : quel courage !

C’est vraiment intéressant d’avoir à la fois le point de vue des victimes et celui des bourreaux qui se sentent d’autant moins coupables qu’ils ont tous trouvé des postes intéressants. En effet connaissant parfaitement les habitants de la RDA (et pour cause !) , ils ont pu servir d’intermédiaires entre les entreprise allemande de l’ancienne RFA qui cherchaient à recruter une main d’œuvre dans l’ancienne RDA. Vous serez peut-être surpris du nombre de passages que j’ai recopiés mais Luocine, me sert aussi à ne pas oublier les livres qui me marquent et dans ce cas j’essaie vraiment de tout retenir ou du moins de savoir où je peux retrouver ce que je veux expliquer.

 

Et donc merci à Keisha, Ingannmic, Sacha, et Eva

Extraits.

 

Début .

 J’ai la gueule de bois. Dans la gare bondée d’Alexander-Platz, je dirige mon corps comme un véhicule. Plusieurs fois je n’évalue pas bien ma largeur et heurte une poubelle ou une borne publicitaire. Demain les bleus se développeront sur ma peau, comme une photo à partir d’un négatif.

Des employés de bureau surchargés de travail !

 L’adjoint de Scheller, Uwe Schmidt, était aussi présent à notre entrevue. La première fonction d’Uwe en tant qu’adjoint, est de montrer que Sheller est assez important pour nécessiter un adjoint. Sa seconde fonction est de paraître toujours très occupé et bousculé, ce qui est nettement plus difficile puisqu’il n’a pratiquement rien à faire. Sceller et Uwe sont tous deux originaires de l’ouest.

Prison communiste .

 Deux gardes, des femmes l’y attendaient. C’était le baptême de bienvenue. 
 C’est le seul moment où elle a eu peur de mourir. L’eau de la baignoire était froide, une garde la tenait par les pieds, l’autre par les cheveux. Elles lui ont longuement tenu la tête sous l’eau, puis l’ont ressortie par les cheveux en l’insultant bruyamment. Et elles ont recommencé. Totalement impuissante, elle ne pouvait plus respirer. Elles l’ont remontée : « Petite merdeuse ! Saleté ! qu’une traîtresse et une salope. » Et l’ont replongée. En remontant, l’air qu’elle respirait était lourd d’injures. Elle a bien cru qu’elles allaient la tuer. 
 La voix de Myriam s’est tendue, elle est bouleversée et je n’ose plus la regarder. En la tabassant ces femmes lui ont peut-être causé des dégâts de irrémédiables.

Triste Ironie !

 On m’a montré un jour une liste de sujets de dissertation provenant de la Faculté de droit de la Stasi à Postdam. J’y ai trouvé de mémorables contributions à l’avancée de la connaissance universelle telle que : « Sur les causes probables de la pathologie psychologique du désir de commettre des infractions frontalières ». Il était impossible de se défendre contre l’ État, car les avocats de la défense et tous les juges travaillaient pour lui.

Location dans l’ex Berlin-Est et humour.

 Dans ces circonstances comment en vouloir à Julia d’avoir gardé les clefs et de revenir à sa vieille vie de temps en temps ? Je m’accommode de chaque disparition inattendue : le tapis de bain en caoutchouc, la machine à café et maintenant les caisses en plastique. Je m’habitue à une atmosphère de plus en plus épurée. J’ai tracé un chemin dépoussiéré sur le linot qui va de la cuisine au bureau et de la salle de bains au lit.
 Dans le hall d’entrée, en passant devant l’emplacement où était la bibliothèque, je n’ai plus qu’un seul sentiment : celui de baigner dans le lino. Le lino a envahi ma vie. Je peux en compter cinq types différents dans l’appartement et ils sont tous sans exception, marron. Certes, il y a des nuances : marron foncé dans le hall ; moucheté dans ma chambre  ; lino peut-être à l’origine d’une couleur différente dans l’autre chambre, mais qui a succombé au règlement intérieur ; marron beige dans la cuisine et, mon préféré, lino imitation parquet dans le séjour.

Nombre de délateurs.

 Après la chute du mur les médias allemands en qualifié l’Allemagne de l’Est « le plus étroitement surveillé de tous les temps ». La Stasi, sur la fin comptait 97 000 employés – plus qu’il n’en fallait pour surveiller un pays de dix-sept millions de personnes. Mais elle disposait aussi de plus de 173 000 indicateurs dissimulés dans la population. Sous le troisième Reich d’hiver, on estime qu’une personne sur 2000 était un agent de la Gestapo dans, l’URSS de Staline une sur 5830 était agent du KGB. En RDA une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi si l’on compte les indicateurs occasionnels certains estiment que la proportion peut atteindre une personne sur 6,5. Pour Miellé, tout dissident était un ennemi, et plus il rencontrait d’ennemis, plus il embauchant d’indicateurs et de personnel pour les mater.

En 1988, la Stasi avait prévu d’arrêter 85 939 habitants (Petit moment d’humour).

 On prévoyait aussi de distribuer à chaque prisonnier, lors de son arrestation une liste d’effets à emporter :
2p. de chaussettes
2 serviettes
2 mouchoirs
2 sous-vêtements 
1 lainage
1 brossé à dents et dentifrice 
1 kit de cirage
Femmes :
Prévoir en plus des serviettes hygiéniques
 Incarcérés sans savoir pourquoi ni pour combien de temps, les prisonniers avaient au moins la certitude d’avoir des chaussures cirées, les dents blanches et un slip propre.

Un membre de la Stasi qui espère le retour du communisme .

 » Le capitalisme pille la planète -ce trou dans la couche d’ozone, l’exploitation des forêts, la pollution- nous devons nous débarrasser de ce système social ! Sinon la race humaine n’a plus qu’une cinquantaine d’années devant elle. « 
 C’est tout un art, profondément politique, de s’emparer de l’actualité et d’en attribuer la responsabilité à vous-même ou à votre opposition, orientant constamment la réalité vers des conclusions complètement inappropriées. Le discours de mon interlocuteur illustre bien ce fait : le socialisme en tant qu’article de foi, continue à vivre dans les esprits et les cœurs, sans se soucier des épreuves douloureuses de l’histoire. Cet homme est déguisé en Allemand de l’Ouest pour mieux se fondre dans le monde où il vit, mais plus il parle, plus il est clair qu’il attend secret le second avènement du socialisme.

La réalité et la RDA.

 En RDA on exigeait des gens qui les acceptent tout un tas de fictions comme la réalité. Certaines de ces notions étaient fondamentales, par exemple l’idée que la nature humaine est un chantier que l’on peut sans cesse améliorer, par l’intermédiaire du communisme. D’autres fictions étaient plus spécifiques : les Allemands de l’Est n’était pas les Allemands responsables de l’Holocauste (même partiellement) ; la RDA était une démocratie pluraliste ; le socialisme était pacifique ; il n’y avait aucun ancien nazi dans le pays ; et, sous le socialisme la prostitution n’existait pas.
 Beaucoup de gens se retirèrent dans ce qu’on qualifia d' »immigration intérieure ». Ils protégèrent leur vie privée, secrète, pour essayer de préserver leur espace personnel face au pouvoir.

L’architecture communiste.

 D’ici à Vladivostok, voici la contribution du communisme à l’art de la construction : linoléum, ciment gris, amiante, béton préfabriqué et toujours et encore des couloirs interminables et des pièces polyvalentes. Et derrière chaque porte, tout était possible : interrogatoire, emprisonnement, examen, administration, abri nucléaire ou, dans ce cas précis propagande.

Dans ce livre on va d’horreur en horreur.

 

 J’ai lu quelques articles sur le décès de Pannach dernièrement. Il est mort d’un cancer très rare, tout comme Jürgen Fuchs et Rudolf Bahro deux écrivains dissidents. Tous les trois avaient été incarcérés dans les prisons de la Stasi à peu près au même moment. Quand des appareils d’irradiation furent retrouvés dans une de ces prisons le Bureau des dossiers de la Stasi se mis à enquêter sur l’éventuelle irradiation de dissidents. Ce qu’elle découvrit choqua un peuple pourtant habitué aux mauvaises nouvelles.
La Stasi avait irradié des personnes et des objets qu’elle voulait traquer. Elle avait mis au point toute une série d’objets radioactifs, comme par exemple des épingles irradiées qu’elle pouvait glisser dans des vêtements, des aimants radioactifs à placer sur les voitures ou des granulés radioactifs injectées dans les pneus. Elle avait produit des aérosols pour les officiers et de la Stasi : ils s’approchaient de certaines personnes dans la foule pour les pulvériser ou ils vaporisaient secrètement le sol de leur foyer pour que les suspects laissent des traces radioactives ou qu’ils aillent…..

Pourquoi devenait on indicateur ?

 « De quels avantages bénéficiaient les indicateurs ? »
je veux savoir combien ils étaient payés.
 » C’était dérisoire, en réalité admet Bock. Ils touchaient trois fois rien. Il devait se réunir avec leur contact toutes les semaines sans être rémunérés. Ils percevaient de temps en temps un peu d’argent en récompense, s’ils fournissaient une information spécifique. Et on leur offrait aussi parfois un cadeau d’anniversaire.
– Dans ce cas, pourquoi acceptaient-ils de le faire ?
– Eh bien certains par conviction. Mais dans la majorité des cas je pense qu’ils le faisaient pour avoir l’impression de devenir « quelqu’un » . Vous savez on passait une ou deux heures par semaine à les écouter en prenant des notes. Ça leur donnait un sentiment de supériorité.

 Le côté charnel des autres dictatures, comme en Amérique latine par exemple, on leur donne à mon avis quelque chose de plus chaleureux et de plus humain. On peut plus facilement comprendre l’attrait des valises débordant d’argent ou de drogue, des femmes, des armes ou du sang. Mais ces hommes gris et obéissants qui rencontraient des indicateurs sous payés toutes les semaines, me semble encore plus sinistres et bêtes. Visiblement l’acte de trahison fournit sa propre gratification : la petite satisfaction profondément humaine de savoir des choses que les autres ignorent, d’être supérieurs à eux … un peu ce que ressent la maîtresse d’un homme. Le régime se servait de cette psychologie comme d’un carburant.

 

 

 

 

 


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères.